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FAIS PAS GENRE !

Clémence et Guillaume

Ça veut dire quoi être une femme ? Laissez-moi choisir !

Être une femme, c’est quoi ? Quand et comment le devient-on, et est-ce qu’une fois qu’on l’est, on le
reste ? Est-ce que c’est quelque chose de palpable ou de mental ? Au départ, ce que l’on disait de
moi avait de l’importance. Il fallait que je sois « la fille bien ». Vous savez, cette fille qui n’a pas
vraiment de désir, qui est discrète, qui ne crie pas de joie lorsqu’elle a ses règles, qui n’a que très peu
d’hommes dans sa vie…
J’avais douze ans quand je me suis posée ces questions-là pour la première fois. Il m’arrivait d’avoir
quelques maux de ventre, bien que dame Nature m’ait déjà touchée de sa grâce en me donnant des
formes, élargissant mes hanches et faisant exploser mes décolletés. Je me sentais bouffie depuis
quelques jours. Puis, je me suis réveillée un matin avec une drôle d’impression. L’impression d’être
mouillée. Alors j’ai allumé la lumière et, oh ! Un nouveau cadeau de dame Nature ! J’ai hurlé
tellement fort en apercevant la scène de crime qui s’était répandue sur mon lit que ma mère, en
montant les escaliers pour me rejoindre, a trébuché en me hurlant, inquiète, d’expliquer la situation.
Être une femme, c’est avoir mal au ventre tous les 28 jours ?
Quand elle a vu le sang, mes tremblements, mon regard terrifié, elle m’a souri et m’a annoncé que
j’étais devenue une femme. Vraiment ? Être une femme, c’est avoir mal au ventre tous les 28 jours,
être mal lunée pendant cinq jours, et devoir porter des couches parce qu’on n’est pas capable de se
retenir de saigner à fond… ? Si c’est juste ça, j’ai pas trop envie…
J’avais plus l’impression qu’il s’agissait d’un poids, surtout quand j’en ai parlé à mes copines. Alors
toute heureuse dans la cour du collège, je suis allée vers elles le sourire aux lèvres malgré les
douleurs désagréables qui allaient et venaient dans mon bide. Et là, je leur ai annoncé : « J’ai mes
règles ! »
Mais à la place de regards d’admiration, de mots d’encouragement, de joie de me voir franchir cette
étape, j’ai eu des rires moqueurs, des détournements de regards, des airs de dégoût et au mieux,
des rires gênés. Donc, être une femme, c’est dégoûter les autres, c’est ça ?
J’en ai parlé à ma mère : « Je ne comprends pas, tout le monde se moque de moi alors qu’ils
devraient être heureux de savoir que je suis devenue une femme ! » Elle a rigolé et m’a dit que j’étais
encore loin d’en être une. Non mais il faut savoir ! Bon, allez, j’accorde le bénéfice du doute, elle
avait sûrement voulu me dire que les règles, c’était le début de mon ascension vers la féminité
ultime.
Être une femme, c’est ne pas avoir de désir ?
Puis vint une autre étape. Ah la la, les premiers amours… L’Education nationale avait bien compris
qu’on était tout feu tout flamme à cet âge puisqu’en troisième, nous avons eu UN cours d’éducation
sexuelle ! Wouah ! C’est la fête, sortez le champomy !Bien entendu, on nous a séparés, les filles entre elles et les garçons entre eux. On nous a parlé de ce
que les garçons désirent, nous explorer pour s’explorer eux-mêmes. Selon l’infirmière scolaire, ils
étaient en train de se transformer en bêtes assoiffées de sexe ne voulant de nous qu’une seule chose
: notre fleur virginale, les secrets de notre jardin, qu’il soit tondu ou mal coiffé, peu importe la
saison, qu’il y pleuve ou que la terre y soit aride ! On nous a aussi parlé de voir le loup le plus tard
possible pour fuir les MST et les bébés, ainsi que pour sauvegarder notre réputation. Mais on ne
nous a pas parlé de masturbation. Alors que, comme toutes mes copines, on voyait le fait de se
toucher soi-même comme quelque chose de dégoûtant ; ou au mieux, comme une chose dont on ne
devait pas parler.
Et nos désirs à nous ? C’est comme si on nous disait que nous ne pouvions pas, que nous ne devions
pas en avoir. Être une femme, c’est ne pas avoir de désir propre ?
Mais je n’en veux pas à ces personnes. Il y a toute une génération qui a vécu avec l’idée que la
virginité est un cadeau qui ne va qu’à un seul homme et qu’il faut bien le choisir, que la femme
n’avait pas d’envie sexuelle exceptée pour concevoir. Le pire ? Cette façon de voir les choses m’a
paru normale…
Être une femme, c’est devoir faire attention à sa réputation ?
Il n’y avait donc aucun sens à ce que je pratique, mais je me sentais tiraillée entre la curiosité et la
culpabilité de simplement y penser. Puis, j’ai rencontré un garçon. Chaque fois qu’on se tenait la
main ou qu’on échangeait un petit sourire complice, j’avais des papillons dans le ventre ! Et chaque
fois que je le voyais, j’apercevais derrière lui, au loin, ce loup qui attendait que je baisse ma garde ne
serait-ce qu’un seul instant pour se jeter sur moi, crocs déployés…
Un soir, on était dans ma chambre, ambiance tamisée, Diam’s en musique de fond. On buvait un
chocolat et… il n’y avait pas que la tasse qui était chaude ! Il me souriait, on se regardait dans les
yeux puis : « AAHOUUUUUUUUU ! » Le loup hurlait de toutes ses forces pour m’obliger à l’entendre
! « AAAAAHOUUUUUUU ! » Je sentais mon cœur battre à tout rompre, mon cerveau déraillait
complètement. Est-ce que c’était le bon ? Est-ce qu’il fallait que je franchisse le cap maintenant ?!
Qu’est-ce qu’on va penser de moi si ça se sait ? Et si je tombais enceinte ?! Et si mes parents
voyaient sur mon visage que j’ai fait l’amour ?!
Puis, tout s’est tu. Il venait de poser ses lèvres contre les miennes et j’ai tout oublié. Il n’y avait que
lui et moi, et ce loup dont les hurlements agressifs se sont transformés en tendres mélodies. Vous
savez, un peu comme Sébastien dans la petite sirène : « Chalalalala n’aie pas peur, ne pense qu’au
bonheur vas-y oui embrasse-là ! » Ahhhhh c’était si bon sur le moment…
… Mais après, je me suis sentie honteuse ! J’avais vraiment l’impression d’avoir fait quelque chose de
mal et aucune envie de le raconter à qui que ce soit. Mais… tout le collège a été au courant ! Mon
petit-ami de l’époque a eu besoin d’aller parader devant ses potes, quitte à mettre mon image en
jeu ! La chose qui m’a à peu près sauvée ? Nous étions en couple. Bien que l’on me faisait des
remarques désobligeantes, cela en restait là car tant que j’étais avec celui qui m’avait touchée, mon
honneur resterait sauf…Nous ne sommes pas restés longtemps ensemble. Certaines insultes se sont amplifiées, certains
garçons dans la cour tentaient de me toucher la poitrine, me mettaient des mains aux fesses… Et je
n’ai jamais rien dit. Ni à eux, ni à personne parce que j’avais l’impression que je devais supporter
seule ce poids, j’étais la seule fautive. J’avais couché, j’étais une salope qui osait, la Vilaine, avoir des
envies ! Comme si j’étais un homme !
Si c’était ça être une femme, ne faire l’amour qu’avec un garçon dans toute ma vie pour conserver
mon honneur ; ou assumer d’avoir du désir sexuel pour un ou des hommes, mais devoir subir
insultes et agressions comme si je désirais TOUS les hommes de la planète, non merci !
Salope, fille facile, fille bien, touchante, aimante, sainte, coincée…
Aujourd’hui, j’ai 25 ans et entre-temps, j’en ai encore entendu des vertes et des pas mûres sur la
féminité. Mes propres amis m’ont reproché de ne pas me respecter parce que je m’habillais court,
de fréquenter plusieurs hommes en même temps alors que je n’avais de compte à rendre à
personne. Certains m’ont prise pour un objet, d’autres pour une amie, ou encore pour l’amour de
leur vie. On m’a traitée de salope, de pute, d’égoïste, de fille facile. On m’a dit aussi que j’étais une
fille bien, une fille touchante, aimante, amoureuse, aimée, une dépravée, une sainte, une
excentrique, une coincée…
Plein d’expériences et une éternelle question : c’est quoi être une femme ? Je trouvais tout injuste
par rapport à mon sexe. Pourtant, j’adore être une fille. Alors merci à certains posts sur les réseaux
sociaux, comme sur @payetashnek que je suis depuis mes 21 ans. On peut y parler de ce que l’on vit
en tant que femme face aux regards des autres, de nos craintes d’être « trop » ou « pas assez », du
harcèlement subi dans l’espace public.
Je me suis vite rendue compte que je n’étais pas seule et j’ai lâché l’idée d’être une « fille classe ». Je
suis fatiguée de devoir toujours surveiller comment je suis habillée, d’être discrète en société… Et je
suis une gueularde en plus ! Je me suis faite cette promesse : je ne me priverai de rien de ce que je
désire, surtout si c’est pour autrui. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui, je me sens femme et
complètement épanouie. J’aimerais un jour nous entendre toutes dire d’une seule voix cette phrase :
« Je suis une femme, je fais ce que je veux, et tous ceux qui pensent l’inverse, je les emmerde. »